
Analyse des offres
L’analyse des offres dans la commande publique : Procédures, critères et méthodes d’évaluation
L’analyse des offres constitue l’étape décisive de toute procédure de commande publique, celle qui détermine le choix de l’attributaire du marché. Cette phase technique complexe soulève des questions comme : comment garantir l’égalité de traitement des candidats ? Quels critères retenir pour identifier l’offre économiquement la plus avantageuse ? Comment éviter les écueils juridiques tout en optimisant l’efficacité de l’achat public ?
Cette analyse ne se limite plus aujourd’hui à la simple comparaison des prix. Elle doit intégrer une approche multicritères, prendre en compte les enjeux environnementaux et sociaux, et répondre aux exigences croissantes de transparence et de performance publique. La jurisprudence récente a d’ailleurs renforcé ces obligations, particulièrement avec l’interdiction progressive du critère unique du prix à partir d’août 2026.
Comprendre les mécanismes de l’analyse des offres devient donc nécessaire tant pour les acheteurs publics, qui doivent sécuriser leurs procédures, que pour les entreprises candidates, qui souhaitent optimiser leurs réponses aux consultations.
Définition et cadre juridique de l’analyse des offres
Qu’est-ce que l’analyse des offres ?
L’analyse des offres désigne l’ensemble des opérations par lesquelles l’acheteur public examine, évalue et classe les propositions reçues des candidats en vue de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse. Cette démarche s’inscrit dans une logique de recherche du meilleur rapport qualité-prix, dépassant la simple logique du prix le plus bas.
L’analyse comprend deux phases distinctes selon l’article R. 2152-6 du Code de la commande publique. D’abord, l’acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. Ensuite, il classe les offres restantes par ordre décroissant en appliquant les critères d’attribution préalablement définis.
Pourquoi l’analyse des offres est-elle capitale ?
L’analyse des offres représente le cœur de la performance de l’achat public pour plusieurs raisons majeures. Elle garantit avant tout le respect des principes fondamentaux de la commande publique : égalité de traitement, transparence des procédures et mise en concurrence effective. Une analyse défaillante peut vicier toute la procédure et exposer l’acheteur à des recours contentieux.
Cette étape détermine également l’efficacité économique de l’achat public. Une méthode d’analyse bien conçue permet d’identifier la solution qui optimise véritablement les deniers publics, en intégrant non seulement le coût immédiat mais aussi les coûts de cycle de vie, les performances techniques et les bénéfices qualitatifs.
L’analyse des offres constitue enfin un levier pour promouvoir les politiques publiques. À travers le choix des critères d’attribution et de leur pondération, l’acheteur peut valoriser l’innovation, l’insertion sociale, la performance environnementale ou le développement territorial.
Sources juridiques et fondements réglementaires
Le cadre législatif principal
Le régime de l’analyse des offres trouve ses fondements dans le Code de la commande publique. Les articles L. 2152-1 à L. 2152-7 établissent les principes généraux, tandis que la partie réglementaire, notamment les articles R. 2152-6 à R. 2152-12, précise les modalités opérationnelles.
L’article L. 2152-7 pose le principe : « Les marchés publics sont attribués au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. » Cette formulation, issue de la transposition des directives européennes 2014/24/UE et 2014/25/UE, marque une évolution significative par rapport à l’ancienne notion de « mieux-disant ».
Les textes réglementaires d’application
Le décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 précise les modalités pratiques d’application. L’article R. 2152-7 détaille les critères d’attribution possibles, distinguant entre le critère unique (prix ou coût) et la pluralité de critères. Cette distinction sera modifiée par l’application progressive de la loi Climat et résilience du 22 août 2021.
Le droit européen de référence
Les directives européennes 2014/24/UE sur les marchés publics et 2014/25/UE sur les entités adjudicatrices constituent les sources primaires du droit français. L’article 67 de la directive 2014/24/UE établit la liste indicative des critères d’attribution, reprise dans la réglementation française.
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne enrichit constamment l’interprétation de ces textes, notamment sur les notions de lien avec l’objet du marché, de non-discrimination et de transparence.
Développement des notions essentielles
L’offre économiquement la plus avantageuse un concept évolutif
L’offre économiquement la plus avantageuse ne se confond pas avec l’offre au prix le plus bas. Cette notion, héritée du droit européen, impose une approche globale.
L’acheteur doit désormais concevoir son analyse comme un exercice d’optimisation multicritères, où chaque aspect de l’offre contribue à la création de valeur publique.
Les critères d’attribution : typologie et conditions d’utilisation
Les critères obligatoires et facultatifs
Pour les marchés autres que de défense et de sécurité, le prix ou le coût constitue un critère obligatoire, sauf dans le cas exceptionnel du critère unique du coût déterminé selon une approche globale. Cette obligation disparaîtra le 21 août 2026, remplacée par l’exigence d’une pluralité de critères incluant au moins un critère environnemental.
Les critères facultatifs sont librement choisis par l’acheteur, sous réserve de respecter trois conditions cumulatives : être non-discriminatoires, être liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, et permettre une évaluation objective des offres.
L’évolution vers les critères environnementaux et sociaux
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 marque un tournant en imposant progressivement la prise en compte de considérations environnementales dans l’attribution des marchés. Cette obligation traduira dans les faits le verdissement de la commande publique, déjà amorcé par de nombreuses collectivités pionnières.
Les critères sociaux, bien qu’optionnels, gagnent également en importance. Ils peuvent concerner l’insertion professionnelle, les conditions de travail, ou encore l’égalité professionnelle, à condition de présenter un lien direct avec l’exécution du marché.
La pondération et la hiérarchisation : méthodes et enjeux
Les règles de pondération en procédure formalisée
En procédure formalisée, la pondération constitue le principe, la hiérarchisation l’exception. Cette règle, énoncée à l’article R. 2152-12, vise à garantir la transparence et la prévisibilité de l’évaluation. L’acheteur doit communiquer aux candidats la pondération de chaque critère, exprimée sous forme de pourcentages, coefficients ou fourchettes.
La jurisprudence n’impose aucune règle entre les critères. L’acheteur dispose donc d’une liberté importante pour valoriser les aspects qu’il juge prioritaires, sous réserve de cohérence avec ses besoins et de respect des principes généraux.
Les méthodes de notation, liberté et responsabilité
Contrairement aux critères et à leur pondération, la méthode de notation n’a pas à être communiquée aux candidats. Cette liberté laissée à l’acheteur s’accompagne d’une responsabilité accrue : la méthode ne doit pas neutraliser les critères annoncés ni créer de discrimination entre les candidats.
Le Conseil d’État a développé une jurisprudence sur ce point. Dans l’arrêt Commune de Belleville-sur-Loire du 3 novembre 2014, il a censuré une méthode qui neutralisait les écarts de prix. Plus récemment, dans l’arrêt Commune de Perpignan du 13 novembre 2020, il a sanctionné une méthode qui privait de sa portée le critère prix en valorisant disproportionnément les prestations minoritaires.
Le coût du cycle de vie, vers une approche globale de la valeur
Définition et périmètre
Le coût du cycle de vie, défini à l’article R. 2152-9, englobe l’ensemble des coûts supportés par l’acheteur ou les utilisateurs pendant la durée de vie du produit, service ou ouvrage. Cette approche dépasse le coût d’acquisition pour intégrer les coûts d’utilisation, de maintenance et de fin de vie.
Cette notion permet de corriger les inconvénients de l’évaluation traditionnelle, qui peut favoriser des solutions apparemment économiques mais générant des surcoûts ultérieurs. Elle s’avère particulièrement pertinente pour les équipements durables, les services récurrents ou les ouvrages complexes.
Conseils pratiques aux entreprises candidates
Optimiser la compréhension des critères d’attribution
La réussite d’une soumission commence par une analyse approfondie des critères d’attribution et de leur pondération. Les entreprises doivent d’abord identifier les critères prépondérants et comprendre leur articulation. Un critère technique pondéré à 60% nécessite un investissement rédactionnel et des justificatifs proportionnés à son importance.
Il convient ensuite de décrypter les sous-critères et leurs modalités d’évaluation. Les documents de consultation précisent généralement les informations attendues pour chaque critère. L’entreprise doit veiller à apporter des réponses exhaustives et structurées, en hiérarchisant les éléments selon leur contribution présumée à la notation.
L’analyse des consultations similaires passées par le même acheteur peut révéler des préférences récurrentes ou des méthodes d’évaluation spécifiques. Cette démarche de veille permet d’affiner la stratégie de réponse et d’anticiper les attentes.
Structurer une offre technique convaincante
Chaque développement doit explicitement faire référence au critère ou sous-critère concerné, en utilisant si possible la terminologie de la consultation. Cette correspondance facilite l’évaluation par les membres de la commission éventuelle et réduit les risques d’incompréhension.
Les entreprises doivent privilégier une approche factuelle, s’appuyant sur des données chiffrées, des références concrètes et des exemples d’application. Les déclarations d’intention ou les engagements génériques apportent moins de valeur que les démonstrations techniques précises et les retours d’expérience documentés.
La valorisation de l’innovation constitue souvent un facteur différenciant. Les entreprises peuvent mettre en avant leurs solutions techniques originales, leurs procédés optimisés ou leurs approches méthodologiques spécifiques, en explicitant toujours les bénéfices concrets pour l’acheteur.
Maîtriser la stratégie tarifaire
La construction de l’offre financière doit intégrer l’ensemble des critères économiques : prix de base, coûts optionnels, coûts de cycle de vie potentiels. Les entreprises doivent porter une attention particulière à la cohérence entre leurs propositions techniques et leur chiffrage.
Lorsque l’acheteur utilise une approche en coût global, l’entreprise doit démontrer sa capacité à optimiser les coûts de fonctionnement, de maintenance ou de fin de vie. Cette démarche nécessite une connaissance approfondie du cycle de vie des prestations et une capacité à quantifier les gains attendus.
La gestion du risque d’offre anormalement basse impose une vigilance particulière. L’entreprise doit pouvoir justifier tout écart significatif par rapport aux références du marché, en s’appuyant sur des éléments objectifs : économies d’échelle, innovations technologiques, optimisations organisationnelles.
Jurisprudences
Conseil d’État, 25 novembre 2021, Collectivité de Corse c/ Société Corsica Networks, n°454466
Cette décision précise les exigences d’impartialité dans l’analyse des offres. Le Conseil d’État a annulé une procédure en raison de la participation d’un agent ayant récemment quitté l’une des sociétés candidates pour rejoindre l’acheteur public.
La haute juridiction a estimé que cette situation « pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à la société candidate et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure ». Cette jurisprudence renforce les obligations de prévention des conflits d’intérêts dans l’analyse des offres.
Conseil d’État, 27 avril 2021, Ville de Paris, n° 447221
Cette décision précise les règles applicables lorsque l’acheteur utilise un cas réel pour l’évaluation des offres. Le Conseil d’État a jugé que « l’acheteur public, qui a pris le risque de se servir d’un cas réel pour le soumettre aux candidats, alors que la candidature d’entreprises du secteur ayant eu à travailler était probable, du moins possible » ne pouvait ensuite reprocher à un candidat de s’appuyer sur son expérience concrète.
Cette jurisprudence souligne l’importance de la cohérence dans la conception des épreuves d’évaluation et des critères d’appréciation.
Conseil d’État, 20 novembre 2020, Société Evancia, n°427761
Cet arrêt admet la possibilité d’utiliser un même élément pour l’appréciation de plusieurs critères distincts. En l’espèce, le budget consacré à l’alimentation pouvait servir à la fois pour le critère technique et pour le critère financier, dès lors que « le prix des repas n’est que l’un des éléments déterminant tant le budget consacré à l’alimentation que le prix unitaire à la place de crèche ».
Cette solution facilite l’analyse des offres complexes où les éléments techniques et financiers s’entremêlent.
Conseil d’État, 13 novembre 2020, Commune de Perpignan, n°439525
Cette décision sanctionne une méthode de notation qui dénaturait le critère prix. Le Conseil d’État a censuré une méthode qui « renforçait l’importance relative des prix unitaires les plus élevés dans la notation du critère du prix alors même que le nombre prévisible de prestations correspondantes était faible ».
La haute juridiction a jugé qu’une telle méthode était « par elle-même de nature à priver de sa portée ce critère, et, de ce fait, susceptible de conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre sur ce critère ».
Conseil d’État, 10 juin 2020, Ministre des armées contre sociétés Erics et Altaris, n° 431194
Cet arrêt confirme l’absence d’obligation de proportionnalité entre les critères d’attribution. Les textes et la jurisprudence n’imposent ni un principe de proportionnalité, ni même une interdiction de disproportion entre les pondérations des différents critères d’attribution.
Cette solution consacre la liberté de l’acheteur dans la valorisation des différents aspects de l’offre, sous réserve de cohérence avec ses besoins.
Tribunal administratif de Versailles, 21 septembre 2020, Société Atelier Jean-Baptiste Chapuis, n°2005666
Cette décision illustre l’application du lien avec l’objet du marché pour des prestations patrimoniales sensibles. Le tribunal a validé des exigences techniques élevées pour un marché concernant « un des plus grands trésors du patrimoine français », estimant que « ce niveau d’élimination est clairement en rapport avec l’objet du marché ».
Conseil d’État, 25 mai 2018, Nantes Métropole, n° 417580
Cet arrêt précise les conditions d’utilisation des labels comme critères d’attribution. Le Conseil d’État rappelle que l’acheteur doit accepter « tout autre moyen de preuve approprié » et que les exigences du label doivent être « en lien avec l’objet du marché ».
Conseil d’État, 16 novembre 2016, Société SNEF, n° 401660
Cette décision fixe le délai limite pour la détermination de la méthode de notation. Le Conseil d’État admet que la méthode puisse être modifiée « au plus tard avant l’ouverture des plis », offrant ainsi une certaine souplesse à l’acheteur.
Conseil d’État, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, n° 373362
Arrêt de principe sur les méthodes de notation défaillantes. Le Conseil d’État a censuré « une telle méthode de notation avait pour effet de neutraliser les écarts entre les prix de sorte que les offres ne pouvaient être différenciées qu’au regard des autres critères de sélection ».
Conseil d’État, 11 mars 2013, Assistance Publique Hôpitaux de Paris, n° 364706
Cette décision autorise, en procédure formalisée, la prise en compte des capacités professionnelles dans les critères d’attribution, sous conditions strictes : absence de caractère discriminatoire, lien avec l’objet du marché, et finalité de garantie de la qualité technique.
Conseil d’État, 25 mars 2013, Département de l’Isère, n° 364950
Cet arrêt rappelle l’obligation d’information sur les critères. Le Conseil d’État exige que l’acheteur précise « les informations qui devront être fournies en vue de l’évaluation des offres pour chacun des critères » et qu’il « exige la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats ».
Conseil d’État, 2 août 2011, Parc naturel régional des grands Causses, n° 348254
Reconnaissance de l’utilisation de l’expérience comme critère d’attribution en procédure adaptée. Le Conseil d’État admet cette possibilité « lorsque sa prise en compte est rendue objectivement nécessaire par l’objet du marché public et la nature des prestations à réaliser, à condition que cela n’ait pas d’effet discriminatoire ».