
Certificat d’exclusivité
Le certificat d’exclusivité est un document établi pour justifier le recours aux marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence préalable fondés sur l’article R2122-3 du code de la commande publique. Cette pièce justificative, dont les contours ont été précisés par une jurisprudence de plus en plus exigeante, conditionne la validité de la procédure dérogatoire.
La définition et la fonction du certificat d’exclusivité
Nature juridique et rôle du certificat
Le certificat d’exclusivité constitue un document établi par l’opérateur économique attestant qu’il détient des droits exclusifs, notamment de propriété intellectuelle, justifiant qu’il soit le seul à pouvoir réaliser les prestations demandées. Ce document vise à démontrer l’existence objective d’une situation monopolistique légitime.
Cette pièce s’inscrit dans le cadre de l’application de l’article R2122-3 du code de la commande publique qui autorise les marchés négociés lorsque les prestations « ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé » en raison notamment de « l’existence de droits d’exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle« .
La finalité du certificat d’exclusivité
Le certificat d’exclusivité remplit une fonction probatoire en permettant à l’acheteur public de justifier objectivement sa décision de déroger aux principes de publicité et de mise en concurrence. Il constitue l’élément principal du dossier de justification de la procédure négociée.
Cette fonction probatoire implique que le certificat doit fournir des éléments suffisamment précis et vérifiables pour permettre un contrôle effectif de la réalité et de l’étendue des droits invoqués.
L’évolution jurisprudentielle des exigences de contenu
La reconnaissance du principe
Le Conseil d’État a initialement reconnu la validité du recours au certificat d’exclusivité dans sa décision (CE, 2 octobre 2013, n° 368846, Département de l’Oise). En l’espèce, le juge a admis qu’un prestataire ayant conçu un logiciel pouvait être considéré comme le seul à disposer des droits pour la maintenance et l’exploitation de ce logiciel.
Cette décision posait le principe selon lequel l’existence de droits d’exclusivité, dûment attestée, pouvait justifier le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalable.
Le durcissement jurisprudentiel et l’arrêt « Steam France »
La Cour administrative d’appel de Paris, dans son arrêt (CAA Paris, 11 décembre 2018, Société Steam France), a marqué un tournant dans l’appréciation des exigences relatives au certificat d’exclusivité. La Cour a censuré un certificat qui « se borne à énumérer de manière succincte et générique une liste de matériels et prestations pour lesquels ladite société disposerait d’une exclusivité« .
Cette décision établit que les certificats génériques et imprécis ne satisfont plus aux exigences jurisprudentielles. Le juge exige désormais une documentation détaillée et circonstanciée des droits d’exclusivité invoqués.
Le contenu requis du certificat d’exclusivité
Les éléments d’identification des droits
Le certificat d’exclusivité doit comporter une identification précise des droits invoqués. Vous devez d’abord indiquer la nature exacte des droits que vous détenez : s’agit-il de brevets d’invention, de droits d’auteur sur un logiciel, de marques déposées, ou d’un savoir-faire technique protégé ?
Les références des titres de propriété intellectuelle constituent un élément essentiel : numéros de brevets, références d’enregistrements à l’INPI, dépôts de droits d’auteur. Ces informations permettent à l’acheteur de vérifier l’existence réelle de vos droits.
La durée de validité des droits et leur étendue géographique doivent également figurer dans votre certificat. Un brevet expire après vingt ans, les droits d’auteur ont une durée différente, et la protection peut être limitée à certains territoires.
La description des prestations protégées
Le certificat doit détailler avec précision les prestations couvertes par vos droits exclusifs. Cette description technique des produits ou services concernés ne peut rester générale car elle doit expliquer concrètement ce que votre exclusivité couvre.
Le périmètre exact des prestations protégées délimite votre monopole. Vos droits portent-ils sur l’ensemble d’un système ou seulement sur certains composants ? Cette précision évite les contestations ultérieures.
Les spécifications techniques justifiant l’exclusivité doivent être expliquées de manière accessible à l’acheteur. Enfin, vous devez mettre en évidence les éléments qui distinguent vos prestations des alternatives possibles sur le marché.
La justification de l’absence d’alternatives
Le certificat doit établir l’absence de solutions de remplacement raisonnables. Cette démonstration constitue souvent l’élément le plus complexe à rédiger car elle exige une connaissance approfondie du marché.
Votre analyse des solutions concurrentes disponibles doit être exhaustive. Vous ne pouvez ignorer l’existence d’alternatives partielles ou vous contenter d’affirmer sans démontrer.
La démonstration de l’unicité technique de votre solution s’appuie sur vos droits exclusifs mais aussi sur les contraintes techniques objectives. Vous devez expliquer pourquoi les procédés alternatifs ne peuvent satisfaire les besoins spécifiques de l’acheteur.
Les modalités d’établissement et de vérification
L’organisme certificateur
Dans certains cas, la jurisprudence fait référence à des organismes spécialisés. Le Conseil d’État, dans l’arrêt « Département de l’Oise », mentionne que l’exclusivité peut être attestée par un certificat délivré par l’Agence pour la Protection des Programmes pour les logiciels.
Cette référence à des organismes tiers facilitent la vérification par l’acheteur public.
La responsabilité de l’acheteur dans la vérification
L’acheteur public ne peut se contenter de recevoir passivement le certificat. La jurisprudence impose une obligation de vérification de la réalité et de l’étendue des droits invoqués.
La conservation et la traçabilité
Le certificat d’exclusivité doit être conservé dans le dossier de marché avec l’ensemble des éléments justificatifs de la procédure. Cette conservation permet d’assurer la traçabilité de la décision et de répondre aux éventuels recours contentieux.
Les risques liés à l’insuffisance du certificat
Les conséquences contentieuses
Un certificat d’exclusivité insuffisant expose l’acheteur public à l’annulation de la procédure de marché négocié. Le juge administratif contrôle strictement la réalité et la précision des éléments fournis.
L’exemple du tribunal administratif d’Amiens (TA Amiens, 7 mai 2013, n° 01301058) illustre ces risques d’annulation en cas de justification insuffisante des conditions d’application de la dérogation.
L’impact sur la validité du contrat
L’insuffisance du certificat peut conduire à la remise en cause de la validité du contrat conclu, avec les conséquences que cela implique pour l’acheteur public.
Les recours des concurrents évincés
Un certificat défaillant facilite l’exercice de recours par les concurrents évincés, notamment via le référé précontractuel prévu à l’article L551-1 du code de justice administrative.
Jurisprudence
CE, 2 octobre 2013, n° 368846, Département de l’Oise
Reconnaissance du principe du certificat d’exclusivité pour la maintenance de logiciels. Admission que le concepteur d’un logiciel peut être le seul à disposer des droits pour sa maintenance et son exploitation. Validation du recours au certificat d’exclusivité dans le domaine informatique, avec référence à l’Agence pour la Protection des Programmes comme organisme certificateur.
CAA Paris, 11 décembre 2018, Société Steam France
Durcissement des exigences de précision du certificat. Invalidation d’un certificat succinct et générique qui se contente d’énumérer une liste de matériels sans précision suffisante. Obligation de détailler précisément l’étendue, la nature et la réalité des droits d’exclusivité.
CE, 19 septembre 2007, n° 296192, Communauté d’agglomération de Saint-Étienne Métropole SITA FD
Principe selon lequel les besoins ne peuvent être satisfaits qu’à l’exclusion de procédés différents. Validation de l’exclusivité liée aux contraintes réglementaires (normes environnementales). L’exclusivité peut résulter de contraintes réglementaires objectives, mais doit être étroitement liée aux spécifications du marché.
CE, 11 octobre 1999, n° 165510
Principe que l’existence de raisons techniques n’est pas prouvée s’il n’est pas établi que d’autres entreprises n’étaient pas en mesure d’exécuter la prestation avec des techniques différentes. Obligation de démontrer l’impossibilité objective de recourir à des solutions alternatives, au-delà de la simple détention de droits exclusifs.
TA Amiens, 7 mai 2013, n° 01301058
Exemple d’annulation d’une procédure de marché négocié pour insuffisance de justification des conditions d’application de la dérogation. Illustration concrète des risques contentieux en cas de certificat d’exclusivité défaillant.
CE, 28 janvier 2013, n° 356670, Département du Rhône
Reconnaissance de l’exclusivité de fait (billets de match de l’Olympique Lyonnais) sans nécessité de droits de propriété intellectuelle formels. L’exclusivité peut résulter de situations objectives, même sans titres de propriété intellectuelle formels.