CE, 8 février 2010, n° 314075 – Mémoire technique et notation

Mémoire technique

Mémoire technique et notation

Les acheteurs doivent noter les mémoires techniques en fonction de leurs qualités et pas au feeling !

Une société qui a un meilleur mémoire technique qu’une concurrente ne peut obtenir la même note.

Dans une affaire intéressant particulièrement les entreprises répondant aux appels d’offre, le Conseil d’Etat s’est penché sur une affaire relative à la comparaison des mémoires techniques via leur notation.

Supériorité de la valeur technique de l’offre d’une société qui a été rejetée illégalement sur celle de la société attributaire et droit à indemnisation de la société évincée (150 000 euros plus les intérêts au taux légal).

[…]

Considérant que le tribunal administratif de Poitiers a, par jugement du 10 mars 2005, rejeté la demande de la société Goppion SRL « Laboratorio museotecnico » tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à l’indemniser du manque à gagner qu’elle estimait avoir subi du fait de son éviction de trois lots du marché de restructuration du muséum d’histoire naturelle de cette commune ; que, sur appel de cette société, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, par arrêt du 8 janvier 2008, réformé ce jugement et condamné la COMMUNE DE LA ROCHELLE à verser une indemnité de 150 000 euros à la société Goppion avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2003, en réparation du manque à gagner subi du fait du rejet illégal de l’offre de cette société pour le lot n° 1 du marché ; que la COMMUNE DE LA ROCHELLE se pourvoit contre cet arrêt en tant qu’il prononce cette condamnation ; que, par la voie du pourvoi incident, la société Goppion demande l’annulation de cet arrêt en tant qu’il a limité à 150 000 euros son indemnisation ;

[…]

Considérant qu’il résulte des dispositions citées plus haut du code des marchés publics que les capacités du candidat, établies notamment par ses références professionnelles, doivent être examinées au moment de l’ouverture de la première enveloppe et que les offres des seules entreprises dont la qualification professionnelle a été jugée satisfaisante doivent être ensuite examinées après ouverture de la seconde enveloppe, la sélection se faisant entre ces offres par application des critères fixés par le II de l’article 53 du code, éventuellement complétés par des critères additionnels énoncés par le règlement de la consultation et justifiés par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution ; que la cour, pour juger que la commission d’appels d’offres avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la valeur des offres présentées par la société Atelier Blu et par la société Goppion étaient équivalentes, a retenu, outre le contenu de la note technique produite par les candidates, « que la société Goppion spécialisée dans la réalisation d’aménagements, et notamment de vitrines, pour l’exposition et la conservation d’objets, en particulier dans les musées, justifiait d’importantes références en ce domaine alors que la société Atelier Blu se présentait comme intervenant principalement dans la conception de charpentes, menuiseries intérieures et extérieures, aménagement de bureaux, commerces, cuisines sans apporter de précision sur la nature des travaux effectués sur des chantiers autres que liés à l’habitat » ; que s’étant ainsi fondée sur les références des entreprises candidates, et non pas exclusivement sur la valeur intrinsèque des offres, elle a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ni ceux du pourvoi incident, son arrêt doit être annulé, en tant qu’il a statué par ses articles 1er et 2 sur les conclusions de la société Goppion tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à l’indemniser de la perte de chance sérieuse d’emporter le lot n° 1 du marché de réhabilitation du Muséum d’histoire naturelle ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société Atelier Blu a produit une « notice technique » qui, se bornant à dresser une liste générale de ses moyens immobiliers, en matériel, en véhicules et en personnel, n’exposait pas comment ces moyens techniques et humains seraient mis en oeuvre pour réaliser les éléments modulaires d’exposition, en vue de la restructuration du muséum d’histoire naturelle de la Rochelle; qu’en revanche, la société Goppion a produit une « notice technique » qui, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE LA ROCHELLE, si elle contenait des indications valables pour toutes les vitrines d’exposition en général, n’était pas stéréotypée, dès lors qu’elle comportait des dispositions précises concernant l’opération projetée par la COMMUNE DE LA ROCHELLE, et décrivait de manière détaillée les moyens techniques et humains et les matériaux devant être utilisés sur ce chantier, ainsi que les lignes directrices des propositions pour la conservation des objets dans ces vitrines ; qu’il résulte également des conclusions du rapport sur l’analyse des offres à laquelle a procédé le 12 mai 2003, en sa qualité de maître d’oeuvre, le gérant de la SARL d’architecture Abaque qui avait reçu de la commune mission de l’assister dans l’analyse des offres des sociétés candidates à l’attribution des lots du marché, que la notice technique présentée par la société Atelier Blu ne démontre pas qu’elle est apte à prendre en charge une réalisation de type muséographique telle que celle du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, alors que l’offre de la société Goppion répond aux prescriptions du marché et présente le maximum de garanties techniques ; qu’ainsi, il résulte de l’instruction que la commission d’appel d’offres, qui était tenue d’apprécier la valeur technique des offres au regard d’une notice faisant état des moyens humains et techniques mis en oeuvre pour mener à bien l’opération et de tenir compte notamment de la qualité des matériaux et de la réalisation en vue de la bonne conservation des objets, a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la valeur technique des deux offres était équivalente ;

Considérant que, compte tenu de la supériorité de la valeur technique de l’offre de la société Goppion sur celle de la société Atelier Blu, seule autre entreprise ayant déposé une offre, de ce que les stipulations précitées de l’article 2.1.2 du II de la section IV du règlement de consultation prévoient que le critère de technicité est prioritaire par rapport à celui du prix, et de ce qu’il ne résulte pas de l’instruction que le prix proposé par la société Goppion, d’ailleurs inférieur de 3% à l’estimation du maître d’oeuvre, aurait fait obstacle à ce que son offre puisse être retenue, la société Goppion est fondée à soutenir qu’elle a perdu une chance sérieuse d’emporter le lot n° 1 du marché de restructuration du muséum d’histoire naturelle de La Rochelle ;

Considérant que, dans ces conditions, la société Goppion a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l’absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l’offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l’entreprise qui seraient affectés à ce marché ; que ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu ; que la société Goppion soutient que la marge nette qu’elle pratique habituellement est de 15 % ; que les données avancées par la COMMUNE DE LA ROCHELLE, faisant état d’un taux de marge nette de 4,23 %, concernent le secteur général du verre et de la miroiterie et non le secteur particulier des vitrines et éléments d’exposition ; que, dans ces conditions et compte tenu du prix marché conclu pour le lot n°1, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société Goppion en l’évaluant à 150 000 euros ; qu’elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter, non de la date du 28 septembre 2003 invoquée par elle, mais du 30 septembre 2003, date de réception de sa demande préalable d’indemnisation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Goppion est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la COMMUNE DE LA ROCHELLE à raison de sa perte de chance sérieuse d’emporter le lot n° 1 du marché de restructuration du muséum d’histoire naturelle de la COMMUNE DE LA ROCHELLE ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la COMMUNE DE LA ROCHELLE le versement à la société Goppion de la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par cette dernière, tant devant le Conseil d’Etat que devant les juges du fond, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions que la commune présente au même titre ;

D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 janvier 2008 sont annulés.

Article 2 : La COMMUNE DE LA ROCHELLE est condamnée à payer la somme de 150 000 euros à la société Goppion SRL « Laboratorio museotecnico ». Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2003.

[…]

Source : Conseil d’Etat, 8 février 2010, n° 314075, Commune de la Rochelle.